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Denis Le Constant
30 mai 2016

La douleur de l'enfantement

Dis, toi, n'est-il pas vrai que toute nouvelle créature vaut que l'on souffre les douleurs de l'enfantement? Moi aussi, j'ai été maman. Mon enfant, je l'ai perdu. Viens ici, mets un moment ta main sur mon front. Nous sommes deux femmes, nous sommes deux mères. Restons un peu en silence. Qu'as-tu pensé? N'est-il pas miraculeux que tu aies, pendant quelques minutes, pensé seulement à moi, à mon sort? Et maintenant, il te semble que tu es là, sur mon coeur, et tu pleures, tu pleures des larmes que tu trouves saintes... Te souviendras-tu? En tout ce temps de déchirement horrible, pour résister à la menace de la folie, pour ne pas céder à la tentation spasmodique de me jeter à terre et de me lacérer le visage, ou bien de fuir dans la nuit me briser contre les rochers, je me répétais, les mains jointes, de même qu'on priait autrefois: "Mais il est vivant... le bonheur, c'est qu'il soit vivant... Si je recevais demain l'avis de sa mort, je repenserais à ces heures où il était encore vivant, quoique absent, quoique non mien, comme à une félicité immense... Il est vivant. Et il pourrait être encore plus malheureux qu'il ne l'est. Si ses fillettes tombaient malades, si sa femme se tuait... Il a besoin qu'elles vivent. Il a besoin aussi que je vive, bien qu'il ait renoncé à moi. Il m'a écrit qu'il a besoin de ma force, qu'il a besoin de savoir qu'il est, même au loin, quelqu'un qui est plus fort que lui, quelqu'un qui résiste à une douleur plus grande que la sienne..." Pour toute heure de lumière, une heure de ténèbres... Heures de lumière; je n'en ai eu que bien peu, et des heures sombres, tant, tant! Il n'importe. Je sais des gens qui furent heureux durant de longues années et qui, quand le soleil commença à décliner, le maudirent. Moi non, moi non. Il est juste que je sois la plus éprouvée, si je suis la plus forte. Je n'ai pas d'enfant, je n'ai pas de compagnon, je n'ai pas de maison, je suis seule. Il est juste que le sacrifice me soit demandé à moi, qui ai déjà donné depuis si longtemps preuve de savoir supporter toute cruauté du sort. Il n'importe que qui m'a aimée ait senti comme mon coeur est avide de douceur, et comme je suis faite pour la joie, pour donner et recevoir la joie. J'ai su d'autre fois abandonner volontairement les biens les plus chers, j'ai fait comme le loup qui s'échappe, amputé, du piège: c'est encore à moi d'être la plus brave... Je ne suis pas devenue folle: je vivrai.

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